Un nouveau toit et un deuxième étage

Les murs du vieux bâtiment sont décolorés, les fenêtres ont des barreaux, l’enduit s’effrite çà et là. L’entrée est composée d’une grande porte en bois, tandis que les fenêtres du premier étage sont surmontées de l’inscription « Instituto Ballester de la Sociedad Escolar Aleman ». Le foyer est une maison avec une longue histoire.

Dès 1877, Maria Luisa Schulz, épouse de l’ancien consul austro-hongrois, fonde une association caritative à Buenos Aires pour aider les Autrichiens et les Allemands émigrant en Argentine. Au fil des ans, cette association se transforme en Hogar de Niños Maria Luisa – un foyer pour les enfants traumatisés des bidonvilles toujours plus grands de Buenos Aires. En 1972, l’établissement est déplacé dans les environs de Villa Ballester, dans le quartier de San Martín. C’est désormais un lieu d’accueil pour les enfants obligés de grandir sans parents ni famille dans la mégalopole.

Derrière cette situation, une bien triste réalité : des milliers de filles et de garçons sont encore aujourd’hui maltraités, négligés ou rejetés. Bien souvent, ils vivent seuls, souffrent de malnutrition et n’ont encore jamais franchi les portes d’une école. Pour beaucoup, ce foyer représente leur dernier espoir. Un hébergement provisoire, où pédagogues et éducateurs s’en occupent jusqu’à ce qu’ils soient adoptés par de nouveaux parents.

Il y a peu encore, le ciel menaçait toutefois de leur tomber sur la tête. Ou plutôt le toit, qui avait pris de l’âge, et présentait de nombreuses fuites et des gouttières en piteux état. La pluie tombait à l’intérieur. L’eau s’infiltrait dans les vieux murs jusqu’à inonder les étages, si bien qu’un grand nombre de pièces étaient condamnées. Des flaques partout, des fils électriques défectueux, des murs pleins d’humidité.

De quoi perdre tout espoir ?

Le deuxième étage est donc particulièrement important pour elles. En effet, nombre des filles rejetées vont devoir reprendre leur vie en main toutes seules. C’est pourquoi elles doivent non seulement avoir confiance en elles et dans les autres personnes, mais aussi commencer par apprendre à compter et gérer un budget ainsi qu’à faire la lessive, le ménage, la cuisine et les courses. Un objectif difficile. Car beaucoup des enfants qui terminent au foyer ne connaissent que la réalité impitoyable des bidonvilles. Bagarre, violence, criminalité.

« Les enfants qui nous rejoignent ont des besoins bien différents selon leur âge, explique Analia Masolli, 40 ans, psychologue du foyer. Les petits doivent d’abord souvent s’habituer à bien d’autres choses que leurs aînés. Certains font dans leur pantalon la nuit, parce qu’ils ont peur du noir ; d’autres doivent commencer par apprendre à parler, parce qu’ils sont très perturbés. » C’est également la raison pour laquelle il est si urgent de remettre en état et réorganiser le deuxième étage. En effet, les adolescents ont besoin d’espace pour en terminer avec leurs propres problèmes. Pour pouvoir se développer. Pour s’essayer prudemment à une vie fonctionnelle.

Et le deuxième étage est essentiel pour encore une autre raison. Il doit offrir un espace permettant de réunir les fratries, dont les membres ont souvent été séparés pendant des années dans les bidonvilles. Par exemple, le petit Benjamin, sept ans, a trois frères et sœurs. Chacune et chacun vivaient cependant de son côté chez un oncle, une tante ou des grands-parents – quelque part dans la mégalopole. Ils n’avaient plus aucun contact, arrachés les uns des autres dans leurs jeunes années. Et partout la même chose : la pauvreté et la violence dans un combat quotidien pour la survie. Les parents sont souvent si dépassés qu’ils donnent leurs bébés, donc certains enfants ignorent faire partie d’une fratrie.

Le nouvel étage du foyer doit bientôt accueillir avant tout les sœurs les plus âgées. Une lueur d’espoir même pour le brave Benjamin. Le segunda planta est bien plus qu’un deuxième étage. Pour les enfants rejetés de Buenos Aires, c’est une deuxième chance dans la vie.